Une friche industrielle

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Respectivement PDG d’Arcadis France et Président de Nexity Villes & Projets, Nicolas Ledoux et Jean-Luc Porcedo s’intéressent depuis plusieurs années aux nombreuses friches que comptent le territoire. Qu’elles soient industrielles ou agricoles, elles représentent un « terrain de jeu » pour la fabrique de la ville, où bureaux, logements, commerces et services ont tous leur carte à jouer. Interview croisée.

Quels sont les différents types de friches sur lesquelles vous travaillez, et que représentent-elles pour vous ?

Jean-Luc Porcedo : Pour nous qui exerçons des métiers de fabrique et de transformation de la ville, les friches attirent l’attention. Nexity Villes & Projets possède une vraie expérience en la matière, notamment s’agissant des friches industrielles. Je pense à la ZAC des Docks à St Ouen 18 hectares qui abritaient l’ancienne usine Alstom. Nous l’avions achetée en 2004, et dix-sept ans après, nous venons de franchir une des dernières étapes de notre mission, avec la vente de la Halle des Docks à Frey. À quelques kilomètres, sur le site de l’ancienne usine PSA d’Asnières-sur-Seine où Nexity vient récemment d’implanter l’une de ses antennes, à Hérouville Saint-Clair dans le Calvados ou encore avec la ZAC Berliet à Saint-Priest dans l’agglomération lyonnaise cette fois, nous vivons des expériences similaires. La particularité de ces opérations, c’est leur temporalité, plus longue que pour d’autres opérations plus classiques. Sur l’ensemble de ces opérations, nous construisons de nouveaux quartiers mixtes c’est-à-dire associant logements, bureaux et locaux d’activité mais ce n’est pas une règle générale. Dans le Bas-Rhin, nous développons également une zone d’activité logistique sur le site d’une ancienne raffinerie. Aujourd’hui, l’extension des zones urbaines butte sur d’anciens sites industriels qui sont autant d’opportunités de refaire la ville sur elle-même, c’est-à-dire de répondre aux besoins des territoires, et notamment à la demande de logements neufs, sans pour autant détruire d’espaces naturels. Chacune de ces friches constitue donc d’abord une opportunité pour le territoire et la puissance publique l’a bien compris avec le fonds friche par exemple.

Nicolas Ledoux : Comme Jean-Luc Porcedo, nous pensons chez Arcadis que les friches peuvent être des diamants bruts. C’est le terrain de jeu actuel et celui des prochaines années. Avec les objectifs de zéro artificialisation nette, c’est sur ces espaces qu’il faut mettre l’accent. Et c’est vrai que l’on travaille sur un temps plus long : pour révéler leur potentiel, il y a plusieurs étapes de dépollution et valorisation afin d’en faire des terrains aménageables. La dépollution et la déconstruction de l’existant sont des aspects déterminants de l’équation économique du projet. Mais c’est passionnant : qu’elles soient minières, hospitalières, militaires, industrielles, plus ou moins bâties, plus ou moins polluées, toutes ouvrent des perspectives très intéressantes. C’est tout un pan de l’histoire du pays que l’on revisite. Ce n’est pas une formalité !

C’est souvent très complexe ?

Jean-Luc Porcedo : Par nature, ces sujets représentent d’abord de la complexité, c’est bien vrai. La dépollution – pour laquelle nous avons une développé vrai savoir-faire spécifique et reconnu en matière de « tiers-demandeur » - demande du temps et un travail très minutieux. Pour autant, le site du futur Village des Athlètes des Jeux de Paris, qui constitue à l’heure actuelle la plus grosse opération de dépollution d’Europe, est développé, comme chacun sait, à un rythme très soutenu compte tenu de l’échéance de 2024. Cela prouve que les solutions existent et aussi que nous maitrisons de mieux en mieux cette compétence.

"Quand on crée un nouveau quartier il faut que l’on retrouve un maximum d’usages, dont bien sûr des services, des bureaux"

Quelles sont les solutions techniques les plus efficaces pour dépolluer une friche ?

Nicolas Ledoux : Il y a une course contre la montre entre la technique et la réglementation qui nous force à être inventif. La réglementation évolue régulièrement avec des seuils de plus en plus hauts, et qui challengent les innovations techniques que nous mettons en place. Nous sommes donc en permanence en train de jongler sur les deux tableaux : nouvelles demandes, nouvelles réponses. Mais aujourd’hui il n’y a pas de limite technique : toutes les friches sont dépolluables, à part les friches nucléaires qui posent des questions particulières – Arcadis intervient par exemple sur les premiers sites du CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), un chantier pour le très (très) long terme. La limite, elle est économique : est-ce que cela vaut le coup d’engager de longues procédures ? Telle est l’équation à laquelle nous sommes en permanence confrontés. Les principales innovations résident dans les modèles prédictifs de dépollution en trois dimensions. Avant on faisait des carottes, des sondages, mais cela restait quelque peu aléatoire. Aujourd’hui nous avons suffisamment d’acquis et des logiciels performants pour construire des modèles prédictifs afin optimiser les zones sur lesquelles nous intervenons, et les techniques que l’on mettra en œuvre. Nos techniques sont également moins impactantes pour l’environnement. Je pense aux techniques qui font appel à des bactéries, ce qui ne porte pas d’atteinte aux nappes phréatiques notamment. Cela concerne des sites très pollués, pour lesquels nous ne sommes pas contraints par le temps.

Jean-Luc Porcedo : La question des techniques de dépollution est un sujet crucial pour nous également, car lorsque l’on arrive comme aménageur et promoteur, la pression sociale, qu’elle vienne des citoyens ou des élus, est extrêmement forte. Ainsi, au-delà de la question de la dépollution, il faut prendre en compte du passé du site au moment d’imaginer son futur, la nature des projets et la répartition des usages. On ne choisit évidemment pas le lieu d’implantation d’une école sans regarder attentivement l’historique du site. L’attention des citoyens, des élus et celle de nos clients fait qu’il y a un besoin naturel de transparence et de vérité. Et on le dit clairement : « avant il y avait ceci, et voilà comment nous l’avons traité ». Une fois que l’on a effectué ce travail d’explication, les attentions locales sont dépassionnées : dire les choses, cela dédramatise.

Les projets de reconversion des friches permettent souvent de développer des logements. Quelle place pour le tertiaire ?

Nicolas Ledoux : Le tertiaire y a bien sûr sa place. Aujourd’hui, il est inconcevable d’avoir des projets non mixtes. Au contraire, on recherche l’intensité d’usages sur un même lieu. Faire la ville, c’est combiner intelligemment une grande diversité d’usages, et à plus forte raison quand on parle d’un terrain vierge où tout est à créer. Il faut y être d’autant plus attentif que l’on n’y trouve pas la sédimentation habituelle d’un tissu urbain issu d’une succession de projets et d’époques. Quand on crée un nouveau quartier sur une friche, il faut que l’on retrouve un maximum d’usages sur ces petits périmètres, dont bien sûr des services, des bureaux. Mais pour que cela « fasse » ville, cela peut prendre plus de temps, la ville ne se décrète pas, elle se pense, s’anticipe, se prépare...

"Lorsque l’on fait la ville sur la ville, on doit garder la mémoire du territoire"

Jean-Luc Porcedo : Si l’on regarde le quartier Paris rive-gauche, on constate qu’en deux ans, il est en train de basculer et de devenir un « vrai » morceau de ville, mixte, attractif, viable. Ce n’était pas forcément l’image que l’on en avait il y a quelques années. Le multi-usages, les évolutions sociétales post-Covid, les nouvelles mobilités, accélèrent tout cela. Aujourd’hui, les collectivités ont bien compris qu’on ne pouvait plus faire de quartiers monolithiques, qu’il s’agisse de logement, de commerce ou de tertiaire.

Nous avons parlé de dépollution, mais le patrimoine existant d’une friche peut-il aussi être positif ?

Jean-Luc Porcedo : Bien sûr ! Nous avons un parti pris sur ce type de projet, qui est de préserver la mémoire du territoire. Il est crucial que les nouveaux riverains soient les héritiers de cette histoire industrielle, agricole, économique. Conserver cette part d’histoire est un pré-requis, cela fait partie de la transmission de nos territoires. La Halle de Saint Ouen ou celle d’Asnières-sur-Seine, en termes d’architecture, de mémoire urbaine, ce sont de très beaux objets. En leur donnant une seconde vie, on entretient aussi la fierté locale. Dans notre démarche auprès des élus, c’est très important de garder cette mémoire, ils y sont très attachés et les habitants aussi.

"À peine cinq ans après avoir écarté certaines friches, on les reconsidère parce que le contexte a évolué"

Nicolas Ledoux : Une friche, c’est une opportunité, d’autant plus que l’on peut « jouer » avec l’histoire du site : ce que l’on décide de conserver ou pas, que ce soit visible ou immatériel comme des usages par exemple. Les urbanistes aiment beaucoup se confronter à cela car ce passé est dans la « carte mentale » des habitants, ce sont des « marqueurs » du territoire. C’est en leur imaginant une seconde vie que les habitants s’approprient les projets. L’une des grandes friches sur lesquelles nous sommes impliqués, des terrains Renault à Boulogne-Billancourt, a d’ailleurs fait l’objet de ce débat : faut-il faire du « tout mémoriel » ou jouer la carte d’un quartier hyper contemporain ? Le débat est ouvert.

Quel est le potentiel de cette activité de reconversion de friches en France selon vous ?

Nicolas Ledoux : Il est extrêmement fort. Aujourd’hui, à peine cinq ans après avoir écarté certaines friches, nous les reconsidérons parce que le contexte a évolué. La tension foncière est telle qu’elle joue un effet positif sur ces zones urbaines délaissées. On déploie des trésors d’imagination sur des zones nouvelles comme les délaissés routiers, à l’image du projet que nous concevons pour le réaménagement de la Porte de la Chapelle à Paris. La question c’est de ne pas tout raser, il faut détruire le moins possible, faire de la « dentelle », et valoriser le plus possible ces zones qui, demain, n’auront plus d’usage routier. Je pense que l’on aura de plus en plus de sujets comme celui-ci, qui étaient peu valorisés jusqu’à récemment, et qui aujourd’hui deviennent intéressants.

Jean-Luc Porcedo : La rareté du foncier nous impose d’aller dans ces directions. Il y a de la perspective, de la ressource, qui varient selon les coûts et l’histoire. La question de l’aménagement du territoire, le besoin de logements, la question du zéro artificialisation nette nous pousse dans cette direction. Je pense au bassin de Thionville par exemple où il y a un engagement de transformation du territoire de la part de la puissance publique pour répondre à la question de logement. L’enjeu est de « re-dynamiser » ces territoires. Au-delà des zones denses, il y a un sujet de patrimoine industriel qui participe à cette recomposition territoriale. Des zones qui ont beaucoup souffert, notamment pour les zones frontalières, des zones abîmées par les délocalisations lors des 20-30 dernières années, et que l’on peut participer à faire renaître.

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