Crédit photo : © Fabrice Aubert (©D.R.)

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Après un premier semestre dynamique en matière de levée de fonds, l’écosystème des start-up de la construction (Contech) et de l’immobilier (Proptech) va souffrir dans les prochains mois selon Fabrice Aubert. Mais ses perspectives à moyen terme sont prometteuses pour le directeur général adjoint de Nexity, notamment en charge des fusions et acquisitions (M&A). Interview.

Selon le « Proptech & Contech Index », plus de 1,6 Md€ ont été levés au premier semestre par les start-up européennes de l’immobilier et de la construction… soit la même somme que sur l’ensemble de l’année 2021. Comment analysez-vous cette croissance ?

Fabrice Aubert : Le premier semestre a été excellent pour les fonds de venture capital (capital-risque) et le private equity (capital-investissement). Tous les secteurs de la tech en ont profité, y compris la Proptech. Le dynamisme de cette dernière correspond également à un moment de marché. L’immobilier est l’un des secteurs où les gains de productivité ont été les plus faibles, voire négatifs, au cours des vingt dernières années. Cela s’explique par la structure très atomisée du marché. Il est désormais mûr pour faire sa révolution grâce à des solutions technologiques générant des gains économiques conséquents.  

Dans quelle mesure le contexte économique actuel change la donne pour l’écosystème de la Proptech en France ?

Fabrice Aubert : Il va souffrir comme tous les autres secteurs de la tech. Y Combinator, l’accélérateur de start-up basé dans la Silicon Valley, a envoyé en mai dernier un courrier aux fondateurs des entreprises qu’il héberge pour les avertir que les futures levées de fonds seront beaucoup plus difficiles. De nombreuses sociétés doivent devenir rentables plus rapidement que prévu dans leur business plan pour survivre. Toutefois, l’immobilier a une trajectoire de croissance devant lui pour les cinq prochaines années. La Proptech répond à de vrais besoins et il y aura des débouchés.

« Les constructeurs et les promoteurs cherchent à développer des projets bas carbones à prix abordables, les start-up détiennent une partie de la réponse »

Quel est ou quel sera l’impact du contexte énergétique et climatique sur la Contech ?

Fabrice Aubert : Il constitue en effet le principal facteur de développement pour les start-up de la construction car il a un impact assez fort sur la manière dont on fabrique les nouveaux bâtiments. Alors que les normes environnementales sont en pleine évolution, tous les constructeurs et les promoteurs cherchent à développer des projets bas carbones à prix abordables. Les start-up détiennent une partie de la réponse. De nouveaux modes constructifs vont émerger, à l’image du futur immeuble Essentiel de Nexity qui fonctionnera sans climatisation ni chauffage. Ou du Hors-Site qui va se développer avec des micro-usines comme celles ouvertes par Vestack en France plutôt que des gigafactories trop éloignés des chantiers, ce qui a causé la chute de Katerra aux Etats-Unis.

Et pour la Proptech ?

Fabrice Aubert : L’obsolescence énergétique du parc immobilier existant va s’accélérer, poussant les acteurs de l’immobilier à investir dans des solutions de sobriété. Nexity a investi dans Square Sense, une plateforme SaaS qui collecte et analyse les données produites par l’usage d’un bâtiment, dans cette logique. Et Deepki, start-up qui accompagne les acteurs de l’immobilier dans leur transition écologique grâce à la data intelligence, a réalisé une levée de fonds majeure de 150 M€ au printemps.

Quelles sont les verticales les plus porteuses dans la Proptech en France selon vous ?

Fabrice Aubert : Outre les solutions pour réduire la consommation énergétique, les start-up qui cristallisent le déplacement de la valeur du produit vers l’usage sont porteuses. Dans l’écosystème Nexity, nous voyons la forte dynamique de nos marques d’exploitation : Morning et Hiptown dans le bureau ; Urban Campus et Studéa dans le résidentiel. Les Proptech qui permettent de faire baisser les barrières à l’entrée dans l’immobilier, qu’elles soient financières ou psychologiques, ont également de beaux jours devant elles : en témoignent les dynamiques de startups comme Masteos, qui a fait une belle levée de fonds cette année, Bricks ou Anaxago. 

« Nous nous reposons sur l’écosystème de la Proptech pour compléter notre panel de métiers »

À quand la première licorne française dans la Proptech ?

Fabrice Aubert : Pour qu’elle émerge dans le domaine de la construction, il faudrait un consensus de place entre grands acteurs afin de diviser le risque industriel. Pour ce faire, un comité de filière organisé par l’État comme dans d’autres secteurs pourrait notamment avoir du sens. Dans le domaine de la promotion et des services, c’est l’absence de réel marché européen qui empêche, entre autres, des licornes d’émerger. Les pratiques et les règles de l’immobilier sont encore très différentes en France, en Allemagne, en Espagne ou en Italie… Conséquence : les solutions technologiques développées par nos start-up de la Proptech n’accèdent pas nativement à une profondeur de marché à l’échelle européenne, ce qui les rend moins attractives pour les fonds de venture capital et le private equity que leurs homologues américaines.

Dans quelle mesure les start-up française de la Proptech et de la Contech contribueront-elles au nouveau cycle de croissance de Nexity d’ici 2026 ?

Fabrice Aubert : Nous cherchons depuis plusieurs années à les identifier aux premiers stades de leur développement et, pour celles qui sont les plus stratégiques, à les acquérir en partie ou totalité. Morning, entreprise qui propose des espaces de travail flexibles très qualitatifs, a été acquise par Nexity début 2019 et sera rentable cette année. Elle représente un relai de croissance pour le groupe. Nous avons également investi dans Urban Campus, une start-up conçoit et gère des résidences de coliving et en build-to-rent en Europe. Ensemble, nous avons signé cet été une première opération de logement avec une expérience locative améliorée en France, à Saint-Louis (68). Et ce n’est qu’un début dans l’Hexagone. Nous nous reposons donc déjà sur l’écosystème de la Proptech pour compléter notre panel de métiers. Cela peut également amener une approche innovante sur des segments d’activités où des modifications d’organisation seraient complexes à déployer : l’investissement dans Square Sense fera évoluer notre offre de property management en apportant de la valeur ajoutée grâce à la donnée.

Les start-up, pionnières de l’imbrication entre projet immobilier et projet d’entreprise

« Les start-up ont compris qu’elles peuvent croître en s’appuyant sur l’écosystème de la Proptech, en particulier les coworkers comme Morning ou Hiptown. Elles sont pionnières en matière de télétravail, de flexibilité, d’aménagement des espaces… Ces sujets adressent des enjeux stratégiques comme la marque employeur, la productivité et la gestion des talents. Les start-up sont donc un laboratoire avancé pour Nexity car nous sommes convaincus qu’un projet immobilier doit être connecté au projet de l’entreprise pour avoir du sens. »

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