H. de Malherbe : « Le retail design doit être conçu au plus proche des pratiques locales »

Crédit photo : © Matthieu Salvaing

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Spécialiste du retail design pour des marques de luxe, Hubert de Malherbe imagine les boutiques LVMH, Moët Hennessy, Fragonard, et Sephora à travers le monde. C’est aussi lui qui est à l’origine de l’espace beauté de La Samaritaine, livrée à l’automne 2021. Rencontre avec un designer inspiré.

Comment adaptez-vous votre approche en matière de design et de parcours client suivant les zones géographiques où vous intervenez dans le secteur du retail ?

Quand j’étais jeune, je me souviens qu’on ne vivait pas de la même manière à la campagne et à la ville : on se nourrissait différemment, les expressions variaient d’une région à l’autre, et les mots se prononçaient selon si on venait des champs ou du village. D’ailleurs, on y portait d’autres types de chaussures et la messe se disait autrement. Dans un même pays et une même région, tout était différent à quelques dizaines de kilomètres. On reconnaissait facilement ceux qui n’étaient pas du coin.

Aujourd’hui, les différences culturelles se sont estompées, notamment avec la digitalisation et la mondialisation. Mais tout de même, on ne vit pas de la même manière d’un côté ou l’autre de l’hémisphère. Si le design n’est pas conçu au plus proche des pratiques locales, le projet ne fonctionne pas. Je dois constamment m’adapter au périmètre d’intervention, aux personnes pour qui nous dessinons et au moment donné. Le temps s’accélère et nous devons être de plus en plus attentifs aux évolutions culturelles pour anticiper les attentes des clients de demain, et pour cela, nous nous adaptons sans cesse. Nous comptons sur l’intelligence collective, et nous nous entourons de personnes qui ont la connaissance de la culture locale.

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Dans les magasins Sephora par exemple, la configuration de l’espace dédié à l’atelier de maquillage varie selon préférences des clientes : si les Américaines se font maquiller sans problème entre les rayons, les Françaises préfèrent généralement un corner plus discret à l’écart du passage. En Asie, le parcours client a été complètement revu pour créer de l’animation dès l’entrée du magasin, et nous avons positionné ces stations de maquillage au plus proche de la rue.

Au-delà de la localisation physique de la boutique et les usages qui y sont associés, il faut prendre en compte la sensibilité de tous les visiteurs. Dans un grand projet parisien comme la Samaritaine, il y a une grande variété de clients : les locaux, les curieux et les touristes, et les consommateurs étrangers. Chacun doit trouver sa place dans les différents étages, et c’est un vrai défi à l’échelle du bâtiment. Au sous-sol, nous visons une clientèle asiatique, alors nous avons conçu l’espace cosmétique pour qu’il réponde à ses attentes, en présentant des marques parfois inconnues des européens agencées sur le modèle d’un duty free.

L’espace beauté de la Samaritaine, aménagé sur le modèle d’un duty free (©D.R.)
Le Corner Fragonard aménagé dans l’espace beauté de la Samaritaine (©D.R.)

A l’échelle du bâtiment, les boutiques sont réparties en fonction des rues environnantes pour favoriser le lien direct aux quartiers des abords de la Samaritaine. Côté Rivoli (au nord), on trouve les enseignes plus populaires et moins sophistiquées, tandis que le luxe se déploie dans la partie Seine. Les services appréciés de la clientèle saoudienne ou asiatique, comme le Personal Shopping, sont répartis dans des appartements au premier étage. A chaque fois, l’agencement et la décoration de ces espaces répondent aux codes des utilisateurs. Et l’univers de la Samaritaine rappelle l’identité parisienne avec les sièges colorés du métro et les carreaux de faïence iconiques.

Au niveau des spiritueux, le corner Veuve Clicquot de la Samaritaine rappelle l’identité parisienne avec les sièges colorés du métro et les carreaux de faïence iconiques. (©D.R.)

Quelle est l’articulation idéale entre commerce physique et commerce digital ?

Mes clients sont des commerçants depuis 29 ans. En trois décennies, leur métier a considérablement évolué et le retail aussi. Bien que « retail » désigne le lieu de commerce, il faut dépasser la notion exclusive de l’espace physique. Nous sommes tous connectés en permanence : il y a le « in » avec l’achat en boutique, et il y a aussi le « off » où, grâce à notre téléphone, nous avons accès à des informations parallèles, des avis sur les produits, etc. Dans chaque projet, il faut trouver un bon équilibre entre le « in » et le « off ».

« Un client qui se déplace en boutique doit avoir une expérience mémorable, qu’elle soit réelle, virtuelle ou hybride »

Depuis que nous sommes passés de la transaction à l’expérience, il n’y a plus de retail en tant que tel. On se déplace de moins en moins puisque les transactions en ligne sont plus rapides et parfois moins chères. L’engouement pour le monde virtuel est général, avec 3,1 milliards d’utilisateurs fréquents de jeux vidéos, et plus récemment le metavers qui attire toutes les industries. J’ai moi-même une passion pour le numérique et le virtuel.

Dans le retail, quand un client se déplace en boutique, il faut qu’il puisse en avoir une expérience mémorable, qu’elle soit réelle, virtuelle ou hybride. Quand Dior parie sur le meta entertainment, et propose à ses clients de créer leur propre avatar pour se projeter dans un monde parallèle, d’autres marques comme Fragonard favorisent l’artisanat et l’héritage de la marque. A Paris, nous avons transformé la boutique de la rue Scribe en un musée de la maison familiale de parfum. La visite est gratuite, et il est aussi possible de participer à des ateliers découverte. Une fois par mois, des conférences y sont organisées. La boutique de la rue Scribe s’est progressivement transformée, en développant l’image de marque : elle est passée d’un simple espace de vente à une boutique de musée au concept scénographique unique.

Comment les considérations environnementales influent-elles sur votre travail ?

Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans l’intention de l’écologie que dans la recherche du meilleur impact environnemental. En amont des résultats en matière d’écologie, il y a les enjeux de culture et d’éducation sur ce sujet. Le processus d’acceptation est le même que celui des aliments bio il y a quelques années : il faut comprendre qu’on peut mieux vivre en mangeant mieux, pour que cela puisse se mettre en place opérationnellement. L’écologie, c’est tout d’abord une prise de conscience.

Avec l’architecte d’intérieur Thierry Lemaire et le directeur de création industrielle Paolo Castelli, j’ai créé une ligne de mobilier éco-design intitulée GreenKiss et inspirée des années 50 à 70. Le concept de la gamme, c’est de proposer du mobilier luxe qui soit plus noble car plus respectueux de l’environnement, sans que ce soit nécessairement perceptible. Pour la première capsule que nous avons présentée lors de la dernière édition du salon Maison & Objet, nous avons utilisé des matériaux recyclés ou organiques élégants comme des mousses écosourcées et de la ouate naturelle.

La ligne de mobilier éco-design Green Kiss développée par Hubert de Malherbe, Paolo Castelli et Thierry Lemaire (©D.R.)

La révolution verte prend du temps en Europe, et le monde du retail en est encore aux balbutiements. Nos clients ont envie de relever le défi et c’est déjà un bon indicateur. Nous devons nous adapter à leurs chartes et à leurs contraintes, et nous portons une attention particulière aux matériaux que nous utilisons. Par exemple, LVMH a renforcé ses exigences sur l’éclairage des boutiques, autant sur la puissance lumineuse que pour les matériaux employés. Ça progresse, on vit une époque formidable !

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