2023, année de la généralisation pour les bureaux bas carbone ?

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Respectivement Directrice RSE chez Nexity et Déléguée générale de l’association pour le Développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA), Marjolaine Grisard et Hélène Genin sont en première ligne de la décarbonation du secteur immobilier. Quelles sont les dernières avancées en la matière ? Quels sont les progrès de la filière et les étapes pour aller plus loin ? Éléments de réponse.

Nexity est le premier promoteur bas carbone depuis plusieurs années : qu’est-ce qui vous permet de passer des expérimentations à la généralisation ? Quel est l’impact sur le reste de la filière ?

Marjolaine Grisard : Nexity a été précurseur en matière de construction bas carbone dans les années 2010, grâce notamment à Ywood, notre filiale qui était spécialisée dans la construction en bois de bâtiments tertiaires, tandis que nous avons participé dès 2015 à la création de l’Association BBCA, pionnière en la matière. Nos bâtiments avaient déjà intégré les objectifs de la RE2020, en témoigne la livraison à Nice du bâtiment Palazzo Méridia en 2020, un bâtiment exemplaire labellisé BBCA et E+C- niveau E3C2, une première en France. L’obtention d’un MIPIM Awards pour le Campus Deloitte début 2023 ou la construction de l’immeuble Essentiel à Lyon Confluence qui ne nécessitera ni chauffage ni climatisation montrent que nous sommes passés au stade de la généralisation. Nous avons effectué ce pivot de la décarbonation massive, et travaillons aujourd’hui les matériaux, la sobriété, l’économie circulaire. En région, avec notre offre tertiaire Nex’Step, nous proposons des immeubles de bureaux bas carbone utilisant du béton de chanvre et du bois. C’est en nous appuyant sur un mix de matériaux que nous pouvons passer à l’échelle et massifier ce type de bâtiments.
 
Hélène Genin : Chaque année, nous suivons les opérations engagées ou ayant déjà obtenu la labellisation BBCA, remise aux bâtiments à l’empreinte carbone exemplaire. La dynamique bas carbone est en plein essor et en augmentation de 55% en 2022 par rapport à 2021. Au total, depuis 2016, cela représente 450 opérations pour 3 millions de mètres carrés. Nexity a engagé énormément d’opérations dans la démarche BBCA et a d’ailleurs été, chaque année depuis la création du palmarès BBCA qui distingue les acteurs français bas carbone, leader en nombre d’opérations engagées depuis 2016. La dynamique est là, et d’autres acteurs s’engagent ! C’est loin d’être anodin puisque le label BBCA est remis à ceux qui réduisent de 30 à 50% l’empreinte carbone d’une opération par rapport à un bâtiment traditionnel. Ces derniers temps, on observe également un développement des opérations de rénovation, un point fondamental.

« Réduire de 30 à 50% l’empreinte carbone par rapport à un bâtiment traditionnel. »

Qu’il s’agisse de données économiques ou réglementaires, que manque-t-il encore pour que le bâtiment bas carbone devienne la règle ?

Marjolaine Grisard : Il peut y avoir des freins à certaines innovations, mais il faut tester afin de faire avancer les choses, de prendre de l’avance. Cela vaut le coup, car nous parlons d’opérations qui peuvent être multi-certifiées. Sur la question du réemploi, il faut qu’on parvienne ensemble à aller « à l’échelle ». Mais pour cela, il faut accélérer collectivement, c’est la seule option. D’une manière générale, pour que le bâtiment bas carbone devienne la règle, il faut faire en sorte de « penser carbone » comme on pense la performance économique. C’est la culture que l’on essaye de distiller.
 
Hélène Genin :  Il y a beaucoup de solutions qui existent, et d’autres qui sont expérimentées. Cette question du carbone, nous l’avons initiée depuis sept ans avec nos membres, mais c’est un changement fondamental : dans le tertiaire, les matériaux représentent 80% de l’empreinte carbone sur cinquante ans ! Cela nécessite de mesurer le carbone dès le geste architectural, dès la phase du permis de construire et cela impacte bien sûr notre manière de travailler avec les architectes ou avec les ingénieurs. Accorder l’ensemble des parties-prenantes sur ces objectifs nécessite de travailler de manière collaborative avec la visée du bas carbone dès la programmation, et de développer de nouvelles compétences avec en particulier celles liées à l’analyse du cycle de vie et les bonnes pratiques bas carbone à mettre en œuvre.

« Lutter contre l’obsolescence et optimiser la valeur verte du bâtiment »

Au-delà des procédés constructifs, comment travaillez-vous sur le changement des comportements ?

Marjolaine Grisard : L’un des métiers de Nexity est de faire du property management : par ce métier nous proposons à nos clients entreprises des missions leur permettant de mieux anticiper le décret tertiaire, ou de les accompagner pour le label BBCA Exploitation, créé récemment et dont nous avons été mécène avec Gecina. L’idée est de mesurer le poids carbone complet du bâtiment en exploitation, et d’être apporteur de solutions en matière d’optimisation au-delà de la consommation d’énergie, comme pour les interventions des Facility managers ou les petites rénovations. C’est important, afin de lutter contre l’obsolescence et d’optimiser la valeur verte du bâtiment.
 
Hélène Genin : Le but c’est d’avoir une vision carbone à tous les stades de vie du bâtiment. Une fois livré, l’énergie des flux frigorigènes représente moins d’un quart des émissions. Mais les opérations de rafraichissement, la mobilité, les usages, les déchets, vont constituer une grande part des émissions. L’usage d’un bâtiment est donc crucial. Il y a également un gros travail à mener s’agissant de la rénovation, au-delà des questions énergétiques, mais en prenant en compte le choix des matériaux ; détruire, c’est remplacer des matériaux qui ont déjà émis, par des nouveaux... qui vont émettre.

« Valoriser l’intensité d’usage »

Qu’est-ce que le Référentiel BBCA Quartier récemment lancé, et comment le fait de penser les projets à l’échelle d’un quartier permet-il de réduire l’empreinte carbone ?

Hélène Genin : Débutée en 2018, la démarche a été finalisée avec la création du label en 2022. Avec ce label, nous souhaitons aborder le sujet de l’aménagement du territoire, au-delà de l’aspect uniquement bâtimentaire. Ce label est fait pour que l’ensemble des acteurs, aménageurs, collectivités, promoteurs, se lancent dans une conception bas carbone du quartier. En effet, aujourd’hui, nous nous rendons compte que dans la fabrique d’un quartier, 40% des émissions carbones sont liées à l’acte de la fabrication technique de la ville... et 60% aux usages qui en découlent. Avec ce label, nous disposons d’un outil pour ramener les émissions carbones à un équivalent usager (usages des espaces publics, consommations, mobilité, localisation du quartier, mixité des usages, compostage des déchets...). Le label vise notamment à valoriser l’intensité d’usage, avec un quartier profitant à un maximum de personnes.
 

Marjolaine Grisard : Chez Nexity, nous sommes un des premiers aménageurs privés avec l’entité Transformation des Territoires qui intègre ces enjeux de transition carbone à l’échelle du quartier. Nous avons récemment signé un partenariat avec Urban Print, 1er outil de calcul adossé au label BBCA Quartier, qui permet de mesurer la performance carbone à chaque stade d’aménagement d’un quartier. Ainsi, à chaque étape de notre travail, nous pouvons simuler l’impact carbone et éventuellement décider d’actions correctrices. Sur ces sujets de transition environnementale, il est crucial que tous les métiers poursuivent leur montée en compétence, qu’il s’agisse du développement, des programmes ou des équipes commerciales au contact direct de nos clients. En interne, nous avons des dispositifs de formation pour accompagner ce changement, avec le lancement de notre « Académie RSE », ouverte à tous les collaborateurs.

Conception, montage et réalisation d’opérations tertiaires bas carbones