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Au lendemain du confinement, l’Idheal (l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement) a lancé une grande consultation afin de mesurer le rapport des Français à leur domicile à l’heure de l’assignation à résidence et du télétravail. Pour Regards Croisés, Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Idheal, fait le point quelques jours après avoir clôturé la consultation et recensé 8000 réponses.

Étudier le rapport des Français à leur logement pendant le confinement, c’était une occasion unique ?

Catherine Sabbah : Oui, de manière inattendue, tout le monde s’est retrouvé dans une position d’habitant. Pour certains c’est très banal (les personnes qui ne travaillent pas par exemple) mais pour beaucoup ça ne l’était pas. Cette situation totalement inédite qui je l’espère ne se reproduira pas de sitôt, nous aura peut-être permis d’observer, de plus près, ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire à la maison. Il y a des leçons à tirer de cette période : on l’a bien vu, les logements ne sont pas conçus pour que l’on y passe 24 heures sur 24 tous ensemble. Travailler, faire l’école, faire du sport si on le souhaite, cuisiner plusieurs fois par jour, trouver des systèmes pour se distraire, pour prendre l’air… les Français ont dû s’adapter.

"Pendant cette période, on a fait des choses qui paraissaient impossibles"

Avez-vous déjà des premiers retours de votre enquête ? Quelles pièces ont été beaucoup aménagées en bureau ?

Catherine Sabbah : Ce qui revient très nettement, c’est que les personnes qui nous ont répondu, dans ce type de situation, disent leur souhait de mètres carrés en plus, d’une pièce supplémentaire ou d’un espace extérieur. Dans la manière dont les gens se sont organisés pour télé-travailler, on voit que beaucoup se sont rapprochés d’une source lumineuse, d’une fenêtre, pour bénéficier de la lumière extérieure ou d’une vue. Mais dans l’ensemble, on voit surtout qu’ils ont beaucoup ‘bricolé’, à partir d’espaces non adaptés au travail : le coin dans le salon, la chambre des enfants, un bureau installé dans un dressing, la planche et les tréteaux ont retrouvé tout leur intérêt … Cela montre que les logements ne sont pas pensés à l’origine pour faire face à ce type de situation. Il manque très souvent un ‘coin’ bureau. Dans les chambres des enfants qui mesurent souvent autour de 10m2, il faut souvent choisir entre l’armoire et la table de travail.

Ce sont de nouvelles attentes ?

Catherine Sabbah : Les questions que l’on se pose sont très conjoncturelles, mais elles sont aussi très révélatrices de la qualité des logements et de la manière dont on les conçoit. Les attentes des Français en matière d’espaces extérieurs, de services, d’espaces mutualisés entre familles étaient déjà des réflexions en cours avant le Covid. C’était dans l’air du temps et la crise pourrait les rendre possibles plus rapidement. Pendant cette période, on a fait des choses qui paraissaient impossibles. Pourquoi ne pas imaginer d’autres types de plans ou d’autres organisations dans les immeubles ?

"Pourquoi ne pas imaginer des extensions sous forme d’espaces partagés à l’intérieur des immeubles : une chambre d’amis, un espace de coworking, une terrasse…"

Vous parlez d’espaces mutualisés, ils peuvent faire figure de solution pour combler le manque d’espace ?

Catherine Sabbah : Les logements sont souvent trop petits, pour des raisons de prix du mètre carré. Alors pourquoi ne pas imaginer des extensions sous forme d’espaces partagés, à l’extérieur des logements, mais à l’intérieur des immeubles, dont chacun aurait l’usage sans en avoir la pleine propriété : une salle occupée tour à tour, une chambre d’amis, un espace de coworking partagé, une terrasse, ce sont des idées qui sont dans l’air du temps et qui pourraient devenir un formidable argument de vente pour les logements neufs…

Quels sont les enseignements de votre enquête sur le rapport des Français au télétravail ?

Catherine Sabbah : 90% de notre échantillon nous a dit qu’il télétravaillait. Il est un peu tôt pour tirer des conclusions sur les envies de bureau ou de télétravail des Français, cela dépend beaucoup des métiers, et les enquêtes qui fleurissent sont assez contradictoires. On a vécu le confinement dans une sorte d’émulation collective, tout le monde était logé à la même enseigne que ce soit dans l’entreprise et dans la famille. C’est devenu, le temps de quelques semaines, une sorte de nouvelle normalité. Quand les enfants retourneront à l’école et lorsqu’un conjoint retournera travailler normalement, je ne suis pas sûre que se retrouver seul chez soi à télétravailler soit si facile. Il y a un risque d’isolement, une sorte de second effet Covid au niveau de la santé mentale aussi. Et physique, car l’ergonomie d’un poste de travail compte énormément quand on y passe 6 à 8 heures par jour.

Quel peut être alors le nouvel équilibre à trouver entre le logement et bureau ?

Catherine Sabbah : Allons-nous regretter nos open space si on nous propose de ne pas y passer tous les jours de la semaine ? Et les managers vont-ils être capables de faire confiance à leurs salariés ? Là résidait l’un des blocages les plus durs du télétravail assez faiblement pratiqué en France. A ces deux questions, la réponse n’a rien d’évident. Les immeubles de bureaux qui deviennent des ‘hubs’ de rencontre, cela fait plus de dix ans qu’on en parle, tout comme le recours aux espaces de co-working de proximité. Dans les entreprises, il arrive qu’il y ait moins de postes de travail que de salariés, le flex-office existe déjà. Cette crise du Covid agira peut-être comme un catalyseur, une évolution accélérée plus, qu’une révolution. On le voit encore plus nettement aujourd’hui : les espaces de bureaux denses ne sont pas adaptés pour des raisons sanitaires. Difficile de savoir si cela va durer.

Si ni les bureaux d’aujourd’hui sont adaptés, ni les logements, comment faire alors ?

Catherine Sabbah : Peut-être faudrait-il réfléchir à l’échelle d’un quartier. Des quartiers mixtes où l’on retrouve des espaces communs – publics ou privés – pour y faire du co-working notamment. Les projets de rénovation à l’échelle d’îlots ou les nouveaux projets urbains, intègrent de plus en plus souvent une forme de mixité fonctionnelle qui avait peu à peu disparu des villes dans la seconde partie du XXème siècle. Diverses théories ont poussé à la séparation des voitures et des piétons, des logements et des bureaux, des activités logées dans les centres et celles repoussées vers la périphérie. Les collectivités et leurs habitants réclament à nouveau du mélange, de pouvoir tout faire dans un rayon restreint, la fameuse ville du kilomètre, la ville « marchable » que nous avons d’ailleurs explorée avec plus ou moins de bonheur, lors du confinement… Les nouveaux projets contiennent des logements sociaux, intermédiaires ou en accession, des bureaux, des commerces, des tiers lieux, des hôtels… On peut vraiment imaginer la possibilité de travailler deux ou trois jours par semaine dans son espace de co-working de proximité, et le reste du temps au bureau. On peut aussi imaginer une réorganisation spatiale entre les métropoles et des espaces moins denses, le temps de travail étant partagé entre le télétravail à la maison en alternance avec deux jours par semaine au siège, en étant hébergé dans des structures de co-living par exemple, ou dans des hôtels qui vont avoir grand besoin de retrouver des clients. »