Le campus Rennes SB à Paris

Crédit photo : © Rennes SB

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L’Hôtel de l’artillerie de Sciences Po à Paris, le futur campus de l’EMLyon Business School, les 12 000 m2 dédiés à l’enseignement supérieur à Lyon Confluence… Ces projets emblématiques ne constituent que la phase émergée d’un iceberg qui prend de plus en plus de place : le marché immobilier des écoles supérieures se développe en France. Analyse de son fonctionnement et de ses spécificités.

C’est devenu une ritournelle : depuis plusieurs années, les écoles supérieures les plus prestigieuses de France et de Navarre se dotent d’une stratégie immobilière à part entière. Par conséquent, elles n’hésitent pas à se lancer, pour plusieurs dizaines de millions d’euros, dans des superproductions immobilières. Le plus souvent au cœur des villes. Et, ce pour au moins deux raisons : soigner leur attractivité à l’international et séduire les étudiants, en recherche de véritables lieux de vie. Sans être exhaustifs, citons trois exemples de projets qui attestent que les écoles sont bel et bien devenues le nouvel utilisateur privilégié par les professionnels de l’immobilier.

D’abord, Sciences-Po réceptionnera, l’an prochain, son nouveau centre névralgique dans un hôtel de l’Artillerie totalement restructuré par Sogelym Dixence et Jean-Michel Wilmotte à Paris. Le montant du projet ? 190 M€. Ensuite, l’EM Lyon — sous l’égide d’un scénario écrit par Altarea Cogedim et Philippe Chiambaretta (PCA-Stream) —, prendra, dès 2022, ses quartiers généraux dans un campus urbain flambant neuf de 30 000 m2 à Gerland. Chiffré à 110 M€, ce « Early Makers Hub 2022 » hébergera 10 000 étudiants contre 3 600 à l’heure actuelle sur le site Écully.

Plus récemment, dans le quartier de la Confluence à Lyon, Nexity a remporté la réalisation de deux îlots d’une surface de 33 000 m2 — dont 12 000 m2 dédiés aux établissements d’enseignement supérieur et de formation. « Il s’agit de produire un immobilier flexible, susceptible de répondre à la variabilité des besoins et des modèles économiques des écoles et à une grande diversité de types d’établissements, publics ou privés », argumentent ensemble la Métropole de Lyon, la Ville de Lyon, la SPL Lyon Confluence et Nexity. Mais, il ne faudrait pas s’y méprendre… Ces projets emblématiques constituent l’arbre qui cache la forêt : le marché immobilier des écoles d’enseignement supérieur privé se structure à grande vitesse dans l’Hexagone.

L’immobilier des écoles, un marché de niche

« Sur les dix dernières années, les effectifs étudiants ont augmenté de 18,5 % en France. Et cette croissance a particulièrement profité au secteur privé qui sur la même période ont vu ses effectifs augmenter de 37 % », contextualise Nicolas Coiffait, directeur associé d’Elevare, structure de conseil et de services dédiée à l’immobilier d’enseignement depuis 2019. De facto, la demande en matière d’édifices pouvant accueillir des étudiants a crû de manière soutenue. « Les écoles de commerce ont largement contribué à animer le marché : pour pouvoir poursuivre leur développement et renforcer leur attractivité notamment à l’international, les anciennes ESC de province rattachées à une ville se sont transformées en Business School réparties sur plusieurs campus, dont Paris. Nous avons par exemple accompagné la Rennes School of Business dans l’ouverture de son premier campus parisien, immeuble de 1 500 m² près de St Lazare. »

Pour Nicolas Coiffait, l’immobilier d’enseignement est longtemps passé « sous les radars » des acteurs du marché. « C’est un marché de niche, mais d’une vraie profondeur. D’après les études que nous sommes les premiers à avoir réalisé sur ce marché, le parc des écoles supérieures privées en IDF dépasse le million de m². Nous venons du monde du conseil en immobilier d’entreprise et après avoir passé plusieurs années à accompagner ponctuellement des écoles dans leurs projets immobiliers, nous avons décidé de créer Elevare comme la première société de conseil précisément dédiée à l’immobilier d’enseignement. Les écoles ont des enjeux immobiliers spécifiques, que ce soit d’un point de vue règlementaire, juridique, fiscal ou encore de configuration des locaux », assure-t-il. Un discours qui fait mouche : le plus souvent, ces établissements d’enseignement supérieur demeurent sous-staffés en matière d’immobilier et apprécient d’avoir un conseil spécialisé qui comprennent leurs besoins et leur fasse gagner un temps précieux dans leurs projets et leur développement. Ajouter à cela que ces écoles ont la plus grande des difficultés à trouver des actifs qui ne sont pas assujettis à la TVA de 20 %. « Aujourd’hui l’immobilier est souvent un frein au développement des écoles. Quand une école décide de pousser les murs, il faut être très réactif pour trouver les locaux adéquats. Les écoles qui anticipent, le plus en amont possible, leurs besoins en matière de nouveaux mètres carrés — entre 3,5 et 4,5 m2 par étudiant en moyenne — sont incontestablement les mieux placées. »

Classe d’actifs acyclique

Surtout, présenter une école privée comme potentiel locataire à un propriétaire d’actifs immobiliers n’est plus synonyme de repoussoir comme jadis. « Bien au contraire, elles sont très appréciées et recherchées, notamment en vertu des baux longs qu’elles signent », stipule le directeur associé d’Elevare. En matière d’investisseurs, il en est un qui a pris position sur le crédo de l’immobilier d’enseignement privé : Quaero Capital. Au printemps 2021, Olivier Lutz et Jérôme Dulon — respectivement Head of Real Estate et Directeur de l’Asset Management du groupe franco-suisse — ont lancé un OPPCI dédié à cette thématique. Un véhicule qui vise une taille cible de 200 M€ pour une vingtaine d’actifs en France.

« Il s’agit ni plus ni moins du premier fonds immobilier tricolore exclusivement dédié à l’immobilier d’enseignement supérieur, de formation professionnelle et d’apprentissage », glissent-ils de concert. Avec l’ambition d’être l’investisseur de référence sur ce sous-segment du marché, Olivier Lutz prend exemple sur l’immobilier de santé pour justifier de sa stratégie. « Il y a quinze ans, cette classe d’actifs n’était pas structurée et peu scrutée par les investisseurs. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : l’immobilier de santé est mature. Chez Quaero Capital, nous portons l’intime conviction que l’immobilier d’enseignement supérieur privé, classe d’actifs acycliques par excellence, embrassera le même destin. »

Adresser une offre sur-mesure

Autre argument qui a convaincu Quaero Capital d’intervenir sur ce segment : la structuration et la naissance de grands groupes d’enseignements privés. « Ce secteur a fortement évolué en vingt ans, constate Olivier Lutz. Face à nous, nous avons à faire à de vrais spécialistes de l’éducation. » Une analyse partagée par Nicolas Coiffait : « Cette croissance d’acteurs va se poursuivre, entraînant une optimisation de l’immobilier d’écoles. » Le duo de Quaero Capital abonde : « En perpétuelle recherche de croissance externe, ces groupes privés ne nourrissent pas l’ambition de détenir leur immobilier d’exploitation. »

La preuve par l’exemple ? Quaero Capital a récemment acquis la célèbre école d’art dramatique Cours Florent à Paris 19e, auprès d’un acteur privé. L’école, filiale du Groupe Galileo Global Education, y est implantée depuis plus de 20 ans sur 1 400 m². « Une opportunité immobilière rare ; le Groupe Galileo représente 170 000 étudiants à travers le monde », se satisfait Olivier Lutz.

Preuve que ces écoles privées restent le nouvel utilisateur chéri de Quaero Capital : la structure d’investissement envisage d’être partenaires de structures d’enseignement au travers de l’externalisation de leurs mètres carrés et de transformer des ensembles existants et/ou à construire. « Dans tous les cas de figure, nous sommes agiles et en capacité d’adresser une offre sur-mesure quelle que soit la nature de l’école (commerce, art, design…). De plus, notre approche unique sur ce marché permettra d’institutionnaliser les actifs en question », justifie Jérôme Dulon. De son côté, Olivier Lutz va poursuivre ses investissements dans l’éducation avec quatre prochains dossiers pour un volume de 60 M€. « Ce marché est bien plus profond qu’on pourrait l’imaginer : nous avons comptabilisé 3 500 établissements d’enseignement supérieur et de formation professionnelle en France. »

Loyer moyen de 500 € HT/m²/an

Le marché locatif des écoles privées reste très tendu en région parisienne. Comprendre : l’offre n’est pas au rendez-vous face à la demande exprimée. « Trouver des locaux à louer dans les meilleures localisations est devenu le nerf de la guerre pour ces établissements », confirme Nicolas Coiffait. « Notre connaissance du marché est justement notre force qui nous permet de proposer à nos clients des actifs pertinents, souvent off market et préalablement occupés par d’autres écoles. Le manque d’offre a poussé ces dernières années les valeurs locatives de campus à la hausse sur Paris intramuros. En dehors du QCA, où cela n’a pas forcément d’intérêt pour une école de s’implanter, les loyers écoles sont souvent proches des loyers de bureaux. »

Selon Jérôme Dulon, ces établissements s’engagent sur un loyer moyen de 500 € HT/m2/an à Paris. « Avec ou sans la Covid-19, ces écoles n’ont aucun problème à s’engager sur des baux longs termes contrairement à des entreprises plus classiques en manque de visibilité économique », appuie-t-il. Et Olivier Lutz d’ajouter : « Les écoles rencontrent deux enjeux de taille ; trouver des locaux de type ERP (établissements recevant du public) en centre-ville et pouvoir anticiper leur croissance. » Pour faire face à ces défis, les propriétaires d’écoles se positionnent plusieurs années en amont d’une opération immobilière. La Web School Factory du Groupe Galileo Global Education a ainsi signé un BEFA de trois ans à l’avance pour un édifice à construire détenu par Quaero Capital et avec le concours de Nexity Patrimoine et Valorisation.

Mixité des usages

Bien que les écoles privilégient souvent Paris intramuros, certains établissements n’hésitent pas à se replier sur la périphérie parisienne « pour des projets de plus grande envergure », constate Nicolas Coiffait. À titre d’exemple, l’EM Normandie, trop à l’étroit dans son site parisien (3 700 m2), a signé un Befa de 12 ans ferme sur l’immeuble H2B (13 700 m2) détenu par le groupe GDC à Clichy.

Le directeur associé d’Elevare observe par ailleurs une tendance qui irrigue peu à peu l’immobilier d’éducation : la mixité des usages. La crise du Covid a in fine renforcé les établissements dans leur conviction du rôle essentiel des campus physiques. « Certes pendant le confinement tous nos projets ont été suspendus. Mais la plupart n’ont été que reportés et nos clients écoles ont maintenu leurs projets. Ce sont ainsi 8 nouveaux campus que nous avons installé à la rentré 2021 représentant près de 5 000 étudiants », avance-t-il. À travers la crise sanitaire, les écoles ont surtout prouvé leur résilience, avec des effectifs en croissance. « Le digital est un atout supplémentaire mais ne saurait remplacer le besoin crucial pour les étudiants d’avoir des campus où se rencontrer, échanger, apprendre, vivre, parachève Nicolas Coiffait. Les campus sont imaginés aujourd’hui comme des espaces de vie et de sociabilisation au-delà de la seule fonction d’apprentissage. On voit la multiplication de projets qui font la part belle à la mixité de usages mêlant locaux d’enseignement, espaces de vie, commerces, services et logements étudiants. »

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