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Le besoin en espaces logistiques s’est largement accru ces derniers mois dans l’hexagone, notamment porté par le succès du e-commerce. Conséquence : une pénurie d’entrepôts et de plateformes s’installe progressivement sur le territoire. Quelles solutions pour répondre à cette situation ? Découvrez les idées et propositions des acteurs du marché.

« Nous sommes en train de vivre un moment charnière ». Plus de 20 ans après ses débuts dans le secteur, Laurent Sabatucci, Directeur associé d’EOL (sociétés spécialisées dans la transaction, le conseil en investissement et l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour l’immobilier logistique) n’avait encore jamais vu cela. En 2021, le marché français a en effet connu son plus haut niveau historique depuis la fin des années 1990, avec des investissements records (6,5 milliards d’euros en 2021) et des milliers d’emplois créés. « Cela ne fait plus de doute : nous n’assistons pas seulement à un rattrapage de l’année 2020 perturbée par la crise sanitaire. Nous vivons une véritable accélération du secteur. Cela se manifeste notamment par l'arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché qui, en quelques mois, mettent la main sur d’importantes surfaces logistiques de plusieurs milliers de mètres carrés ». Un contexte qui se mesure par des chiffres, à l’image de ceux recensés par EOL dans son récent « Point marché Immobilier logistique France 2021 - T4 ». Parmi les différents enseignements de cette étude, citons d'abord l'augmentation de la demande placée de 34% en 2021 pour atteindre3 697 000 m². Autre chiffre spectaculaire : près de 80 % des bâtiments existants début 2021 ont été commercialisés au cours de l’année. Une dynamique qui se traduit en toute logique par une baisse du taux de rendement prime de 3,2% sur l’année.

Évolution des principaux marchés logistiques en 2021 :

Succès du e-commerce et progression des stocks

Comment expliquer un tel engouement pour l’immobilier logistique ? D’abord, sans surprise, par le succès immense du e-commerce depuis le début de la crise sanitaire. Pour assouvir leurs grandes ambitions en France, des acteurs étrangers comme Alibaba, Zalando et bien sûr Amazon, se disputent les meilleurs emplacements logistiques de l’hexagone. Une compétition à laquelle se mêlent également des entreprises de livraison. Cet automne, La Poste a ainsi annoncé vouloir investir 450 M€ sur quatre ans dans sa filiale Colissimo. Objectif : passer de 500 millions de colis livrés en 2021 à plus d’un milliard par an à l’horizon 2030. L’autre facteur explicatif de cette dynamique repose sur le choix des grandes sociétés d’augmenter leurs stocks pour répondre à des difficultés d’approvisionnement. Selon le Département du Commerce, les stocks des entreprises américaines ont ainsi grimpé de 2,1% sur le seul mois de décembre 2021. Mais ce contexte euphorique n’est pas qu’une bonne nouvelle pour les acteurs tricolores de l’immobilier logistique. Face à une telle demande et à l’absence de projets de développement à court terme dans certaines régions (Lyon, Marseille, Ile-de-France…), le secteur risque en effet de connaître une pénurie aggravée au cours des prochains mois et des prochaines années. « Au 3ème trimestre, nous avons observé une baisse record de la vacance de 3 % en Europe. Tant au sein de l’UE qu’au Royaume-Uni, nos conclusions montrent que la demande d’espace logistique et le besoin d’augmenter les stocks se poursuivront, en raison de la volonté des clients de renforcer leur résilience », expliquait en novembre Eva Van der Pluijm-Kok, responsable de la recherche et de la stratégie de Prologis en Europe. Une mauvaise nouvelle qui impactera aussi l’ensemble de l’économie française, dont la reprise risque d’être freinée.

La logistique dans les Hauts-de-France, un exemple à suivre

Dans ce contexte si particulier, certaines régions s’adaptent et parviennent à tirer leur épingle du jeu. Alors que la demande placée s’effondrait en 2021 à Bordeaux (-47%), Marseille (-24%), Lyon (-20%), elle bondissait dans le même temps à Toulouse (+ 100%) ou à Lille (+252%). La région des Hauts-de-France est d’ailleurs régulièrement citée par les observateurs du secteur comme la bonne élève du pays, grâce à sa stratégie ambitieuse visant à aimanter les investissements logistiques sur ses terres. De janvier à septembre 2021, les Hauts-de-France ont ainsi attiré pas moins de six transactions XXL (plus de 50 000m2). Mieux, cet automne, c’est tout simplement la plus grande opération du marché en 2021 qui était annoncée sur ce territoire. Réalisé par EOL pour le compte de la Redoute, « E-Valley » constituera un nouvel entrepôt XXXL de 110 000 m2 près de Cambrai. « La région Hauts-de-France est la seule au niveau national qui dispose encore de capacités d'accueil importantes. Surtout, elle affiche une réelle volonté de travailler en bonne intelligence avec tous les acteurs du marché de l’immobilier logistique. La plateforme multimodale Delta 3 de Drouges en est également un bon exemple. C’est un projet unique en France qui a été pensé par la région et les agglomérations concernées. Il propose des aménagements très intéressants non seulement pour les entreprises logistiques mais aussi pour les industriels », témoigne Laurent Sabatucci. En 2021, les Hauts-de-France se sont accaparé un tiers du marché français de l’immobilier logistique et ont créé plus de 3000 emplois dans ce secteur.

Immobilier logistique : un avenir en question

Au-delà de ces dynamiques locales, l’immobilier logistique français doit trouver des réponses collectives à ses enjeux du moment. Comment ? Selon Laurent Sabatucci, il conviendrait tout d’abord de sanctuariser les zones d’activités fléchées sur la logistique. « Il ne s’agit absolument pas de construire des espaces logistiques aveuglément, mais plutôt de favoriser et d’accélérer les projets au sein de zones conçues pour les accueillir. C’était l’ambition du gouvernement avec les zones d'accueil prioritaires. Malheureusement, cela ne fonctionne pas encore sur le terrain ». L’urgence devient progressivement palpable. Les projets qui seront lancés dans les prochains mois ne verront pas le jour avant 2023. Une éternité par rapport aux réglementations plus souples de certains de nos voisins comme la Belgique ou l’Espagne. Autres pistes intéressantes : celles formulées par l’association Afilog - qui représente 130 entreprises de l’immobilier logistique - dans le cadre d’un livre blanc récemment dévoilé par France Logistique. En pratique, l’organisation propose une planification des emprises foncières ; une allocation de foncier au service de la logistique des PME, TPE et ETI ; une accélération des procédures administratives ; et enfin une approche locale et durable des implantations dans les territoires. « La logistique n’a jamais représenté une telle opportunité pour la relance économique et la relocalisation des stocks. La campagne électorale devra permettre aux candidats de s’emparer de ce sujet. La logistique est le bras armé de l’industrie française. La désindustrialisation du pays a été douloureuse, une délogistisation serait meurtrière pour notre économie » prévient Claude Samson, Président d’Afilog. Après avoir connu son année la plus florissante de la décennie, l'immobilier logistique devra mobiliser et convaincre en 2022 pour se réinventer un avenir pérenne.

Avis d’expert - Pierre-Yves Escarpit, Directeur Général Adjoint de Cdiscount, Directeur général de C-Logistics

Quel bilan tirez-vous de l’année 2021 ?

L’année 2021 a surtout été une année de rééquilibrage après deux ans de pandémie et une année 2020 très florissante pour le e-commerce. Chez Cdiscount nous avons bénéficié du travail entrepris entre 2017 et 2019 et qui visait à doubler notre pôle d’entrepôts pour atteindre 530 000m2. Cette stratégie d’anticipation s’est révélée être un réel atout pour le groupe : pendant la crise elle nous a permis d’assurer une continuité de service pour nos clients et désormais elle nous permet de répondre aux nouveaux usages avec sérénité.

Quels sont les enjeux logistiques d’avenir pour Cdiscount ?

Notre filiale Supply Chain C-Logistics pilote à la fois la logistique et le transport pour les clients du site Cdiscount, mais aussi pour des vendeurs partenaires qui commercialisent leurs produits sur Cdiscount, d’autres plateformes e-commerce ou encore directement sur les boutiques en ligne. Pour relever cette double mission, nous nous appuyons sur trois grands pôles logistiques dans les régions de Bordeaux, Saint-Etienne et Paris. Nous expédions aujourd'hui environ 25 millions de colis par an. Notre objectif est de continuer à absorber la croissance. Pour les petits produits, nous misons sur la densification. Par exemple, nous faisons partie des premiers utilisateurs mondiaux d’Exotec. Cette start-up française nous fournit des petits robots qui sont capables de grimper le long des armoires de stockage pour préparer les commandes. Cela nous permet de stocker beaucoup de références.

Comment favoriser demain le développement de l’immobilier logistique français ?

La crise sanitaire a permis au grand public de mesurer combien la logistique était importante pour la bonne marche du pays. En tant qu’acteurs du secteur, nous devons démontrer notre capacité à proposer un modèle français d’une logistique à la fois performante économiquement, responsable socialement et très exigeante sur le plan environnemental. C’est notre responsabilité. J'échange régulièrement avec les dirigeants d’organisations professionnelles comme France Logistique et France Supply Chain by Aslog. Ils sont totalement mobilisés pour porter ce message et défendre la filière auprès des élus mais aussi de la population. La logistique représente aujourd’hui 1,8 million d'emplois en France. C’est le cinquième recruteur du pays. Nous devons porter un message d’avenir.

Construction bas carbone, pour des projets sur mesure, performants et économes en énergie